Au printemps 2015, des manifestations gigantesques contre la corruption et contre Dilma Rousseff ont lieu au Brésil, menées en particulier par des mouvements de jeunes très actifs sur internet également : "MBL" (Mouvement pour un Brésil Libre), "Vem pra rua" (Viens dans la rue), "Revoltados on-line".
De nombreux articles de la presse française décrivent la corruption du Parti des Travailleurs de Lula et Dilma Rousseff. Arte journal parle de "la présidente Dilma Rousseff empêtrée dans les affaires de corruption".
Est-ce vraiment la raison qui a amené sa destitution ?
Au cours des procédures, ce sont d'autres motifs qui ont été invoqués.

1. A cause des "Pédalages fiscaux" :


La procédure de destitution (impeachment) est entamée par la commission du sénat le 6 mai 2016 et confirmée définitivement le 31 août. La Présidente a été déposée pour faute grave et a été remplacée par son vice-président, Temer, qui forme un nouveau gouvernement le 12 mai, en accord avec la constitution.
Il s'agirait donc d'une procédure suite aux "pédalages budgétaires" de Dima Rousseff pour masquer l'ampleur du déficit, en fait, des décisions budgétaires prises sans autorisation des députés (en fin d'exercice après fermeture du parlement).

Le motif principal de la destitution de la présidente est une manipulation comptable, appelée «pédalage budgétaire» [...] . (Le Monde)


Plusieurs faits doivent être notés :
  • la justification des irrégularités trouve des détracteurs même pour The Economist, ennemi juré du PT (The proceeding against her in Congress is based on unproven allegations).
  • ce type d'opérations avait été pratiqué par tous les précédents présidents, y compris Fernando Henrique Cardoso venu déposer la plainte.
  • le lendemain de la condamnation de la présidente, une loi a été approuvée pour autoriser ces actions, ce qui fait que Dilma Rousseff sera de toute manière la dernière à les avoir pratiquées, illégalement ou non.
    Ecouter à ce propos une émission de France Culture.

2. Pour arrêter les enquêtes en cours ?


Début juin, filtre dans la presse une longue conversation entre le sénateur Romero Juca, ministre de la planification du gouvernement Temer, et le chef de l'entreprise Transpetro, impliqués tous deux dans le scandale Petrobras. Juca explique que l'enquête se rapproche de lui, que la Présidente ne veut pas l'empêcher, il faut donc créer un "pacte national" pour la déposer et la remplacer par Michel Temer pour arrêter les investigations. Il dit disposer de l'accord de membres du Tribunal Fédéral Suprême (STF) et de l’État Major (ref en portugais). Pour le journaliste américain Glenn Greenwald, qui vit au Brésil, "il est temps d'appeler cela un coup d'état" (ref en anglais ).

3. Refus de Dilma Rousseff d'un projet ultralibéral.


Plus récemment, à New York, Michel Temer a fourni une autre explication : son parti, le PMDB, a développé Ponte para o futuro (Pont pour le futur), projet ultralibéral en complète opposition avec le projet sur lequel il a été élu vice-président de Dima Rousseff. La destitution a eu lieu parce que la présidente refusait d'y adhérer (réf en anglais & portugais).

Pourquoi alors cette destitution ?


L'enregistrement de Juca annonçant une prise de pouvoir n'est contesté par personne. Temer reconnaît avoir déposé la présidente et ne nie pas l'illégalité de la procédure. Il justifie juste que le gouvernement doive être choisi par ceux qui, comme lui, ont une certaine conscience de l'économie, quel que soit le résultat de l'élection.
Il semble difficile de soutenir comme l'affirmait l'éditorial du Monde (31 mars 2016) : "Il ne s'agit pas d'un coup d'état".
Le gouvernement mis en place par Michel Temer, constitué uniquement d'hommes, blancs, tous très riches, pas tous très honnêtes (six d'entre eux ont déjà démissionné pour accusation de corruption), semble indiquer le retour au pouvoir d'une oligarchie.

Que se passe-t-il depuis la destitution ?

Les mouvements de jeunes qui appelaient à lutter contre la corruption ont disparu des réseaux sociaux (en PT).

Dans les explications tant de Juca que de Temer, il n'est aucune question des dépassements de crédits.
Il semble que même cet argument ne soit plus mis en avant par ceux qui l'avaient invoqué.

Que sont-ils devenus depuis ?
  • Eduardo Cunha : Organisateur principal de la destitution, impliqué depuis des années dans de nombreux scandales financiers, président de la chambre des députés, il était menacé de destitution par le conseil d'éthique.
    La cour a été exceptionnellement longue à prendre une décision, son dossier a été examiné après la fin de la destitution, il a été est suspendu le 6 mai, démissionne de la présidence de la chambre le 7 juillet, et est mis sous les verrous le 19 octobre.
  • Romero Jucá : Président du sénat, a depuis été accusé par des entrepreneurs de travaux publics d'avoir touché d'importants pots de vin. Il était déjà impliqué depuis longtemps de nombreux scandales et avait été déclaré responsable d'invasion de terres indiennes (El Pais en PT et document Wikileaks en GB), voire de mort d'indiens (Apublica en PT).
  • Michel Temer : Il est lui-même directement mis en cause dans une affaire de financement illégal de sa campagne (Estadão). Il avait dans un premier temps fait porter l'accusation sur Dilma Rouseff, mais les avocats de cette dernière ont rendu publique la photocopie d'un chèque au nom de Michel Temer.
Après les articles de la presse française, beaucoup croient Dilma Rousseff impliquée dans la corruption, pourtant aucune accusation de ce type n'a été portée contre elle. Pourquoi alors la presse n'a-t-elle pas corrigé ses propos ?

Sources :