L'arrestation de Lula est une pièce de théâtre à grand spectacle qui se joue en plusieurs actes.

Acte 1 : L'arrestation du 3 mars 2016


Tout était bien mis en scène : à 6h du matin, les caméras de la chaîne Globo (avec hélicoptère) attendaient devant la maison de Lula dans la banlieue de São Paulo, ainsi que certains journalistes de la presse écrite. 200 Policiers fédéraux lourdement armés en tenue camouflée et 30 agents du fisc sont arrivés, ce qui a donné lieu à une émission spéciale en direct sur la TV Globo.

Le juge Moro a fait procéder à l'arrestation de Lula et une perquisition de l'appartement où le couple dormait. Des perquisitions simultanées ont eu lieu à la société Oderbrecht, au site d'Atibaia et au triplex, propriétés attribuées à Lula. Il y aura ce jour-là 33 demandes d'interrogatoire.
L'obligation coercitive est une procédure destinée aux réfractaires aux convocation de juge. Lula, qui s'était toujours rendu aux convocation, cette-fois n'en avait pas reçu.

On pense cette opération destinée à impressionner la population pour favoriser la chute de Dilma Rousseff. Dès la nouvelle de l'arrestation communiquée à la télévision, une manifestation s'organise autour de son domicile, puis à l'aéroport, pour l'empêcher.



Lula est mené à l'aéroport de Congonhas, en vue de Curitiba dans
la prison sous contrôle du juge Moro. Des députés de droite, arrivés à Curitiba, fêtent déjà le succès de l'opération1.
Mais les choses ne se déroulent plus comme prévu. Les avis divergent sur les événements. Pour certains, le Tribunal Fédéral Suprême (STF) a été prévenu par les militaires de l'aéroport, pour d'autres, par un ex-député du Parti des Travailleurs présent par hasard. Le STF a fait arrêter les opérations : Lula est un personnage trop important au niveau international pour être traité de la sorte.
Le juge Moro a finalement reçu la déposition de Lula à l'aéroport, puis l'a libéré. L'habeas corpus de Lula ne valant que pour l'état de São Paulo, le juge aurait souhaité l'amener au Parana. Cette opération est maintenant reconnue comme son plus gros échec, elle lui a valu une admonestation sévère du STF.

Acte 2 : La vidéo de la police fédérale (PF)

La Police Fédérale nie dans un premier temps avoir filmé l'opération, ce qui est illégal. Suite à des dénonciations de la défense de Lula, le juge Moro finit par intimer la PF de dire la vérité. Le commissaire en charge a reconnu alors avoir gravé "sans autorisation". Des élus du PT demandent alors au juge l'interdiction de l'utilisation de ces images, mais il s'y refuse, "pour ne pas entraver la liberté d'informer".

Acte 3 : Le film devient un spectacle de cinéma


On apprend que Marcelo Antudez, réalisateur de comédies, prépare un film avec l'aide de la Police Fédérale, avec un titre éloquent : "Police Fédérale. La même loi pour tous" (“Polícia Federal - A Lei é Para Todos”). Les acteurs ont répété leur rôle avec les policiers de l'opération du 3 mars 2016. La PF a prêté pendant une semaine les lieux et même avion et hélicoptère. Les acteurs ont eu accès à la prison de certains condamnés du scandale Lava-Jato. Le film comportera des images de la maison de Lula (la police a filmé même sous le lit du couple), et de Marisa Lula, décédée entretemps. L'acteur qui joue Lula, Ary Fontoura, participait aux manifestations contre Dilma Rousseff. Il dit être venu à Curitiba, où est basé le juge Moro, pour "sentir le climat de l'enquête lava-jato et regarder les enregistrements que la PF a faits de l'arrestation de Lula".
La revue Veja, l'acteur Ary Fontoura, le réalisateur Marcelo Antunez, le producteur Tomislav Blazic et le journaliste Gustavo Foster auraient eu accès à la vidéo de la police tournée dans le domicile de Lula. La police fédérale qui l'avait admis dans un premier temps, le nie maintenant.

Le producteur et le réalisateur sont, comme les acteurs, issus des télénovelas de la TV Globo Le film sera une trilogie et même une série télévisée, prévu pour sortir à la fin de l'année, et distribué dans 26 pays. Une bande-annonce est déjà disponible sur le site de la revueVeja. Les acteurs et tous les personnels ont été payés par anticipation.

Un film de sponsor secret basé sur des images illégales ?


Le scénario porte sur l'enquête du scandale du lava-jato (selon les dires du journaliste Pepe Escobar, la "recherche de la vérité" ne serait en grande partie façade, les informations étant fournies par les écoutes de la NSA). La scène "choc" du film est l'arrestation de Lula à son domicile. Le message du film est clairement d'assimiler Lula et corruption, comme il avait été fait avec Dilma Rousseff avant sa destitution. L'acteur Herson Capri pressenti pour le rôle de l'ancien président Cardoso s'est désisté. Pour lui, il s'agit d'un film politique au service du PSDB (Parti Social Démocrate Brésilien, la droite).
Dernier détail : Ce film est coûteux (15 millions de R$, contre 5 pour une production moyenne). Personne ne sait qui le finance. Il s'agit, selon la revue Veja, d'un investisseur secret. On sait juste qu'il s'agit de fonds provenant de l'étranger. Ce film est donc entouré de bien des mystères. Sa sortie pourrait coïncider avec l'arrestation de Lula, scellant la collaboration entre la chaîne Globo et le juge Moro.

Après son arrestation ratée, Lula avait parlé de "justice pyrotechnique".





PS :
Le titre du film "la loi est la même pour tous" prête à sourire.
  • Le scandale en cours montre la corruption des deux tiers du gouvernement, du parlement, et du Président Temer qui vient de nommer à la cour suprême un avocat connu pour ses liens avec le grand banditisme.
  • La justice brésilienne est connue pour être sélective, et les scandales politiques s'y terminent souvent en amnistie.
  • Récemment, est ressortie une affaire ancienne d'escroquerie à l’État, l'affaire Banestado (500 milliards de R$), dans laquelle le juge Moro avait montré une grande indulgence pour ses amis politiques. Une autre affaire vient d'être soulevée, une arnaque à une association d'aide aux handicapés, l'APAE. Elle finançait une école privée de magistrature, dans laquelle enseignaient… les enquêteurs et les juges de l'enquête lava-jato, dont l'avocate est l'épouse du juge Moro.


Sources :


1Selon Pragmatismo Politico, Jair Bolsonaro, extrême-droite, et Fernando Francischini, député et commissaire, avaient fait le voyage exprès. Ironie de l'histoire, Bolsonaro et Francischini sont maintenant cités dans les délations.